Patt Miosh

2 ans de port.
32 ans lors de la contraception.

 

Porter un slip, c’est porter un slip, point barre.

Une légende raconte qu’en des temps anciens – dans les lointaines années 1980 – de jeunes hommes portaient un vêtement qui, par la simple action de la chaleur, les empêchait d’enfanter. Toujours selon la légende, ce vêtement s’était transmis de génération en génération, presque sous le sceau du secret, de chuchotements en chuchotements.

Je nageais dans cette imprécision historique quand, il y a quelques années, le voile de mystère a été en partie levé. Sommé de rédiger un article sur le sujet avec un camarade, j’ai bien dû me renseigner sur cette rocambolesque expérience, celle de la recherche et de la mise au point du remonte-couilles toulousain. J’ai visionné un documentaire sur l’histoire de cette technique artisanale (Vade retro spermato), j’ai lu des témoignages, de la documentation scientifique et médicale, et j’ai fini par rencontrer des gens qui l’avaient porté, ce mystérieux slip contraceptif. Sans le savoir, je mettais le doigt dans un engrenage dont je ne suis pas encore sorti.

Une fois l’article publié, j’étais fier comme un coq. Ah, une belle enquête menée sur un sujet original ! Pourtant, il ne me venait pas à l’idée que ce sur quoi nous avions travaillé pouvait advenir autre part que dans les pages d’une revue, et encore moins dans ma propre vie. Après tout, je suis du genre à rechigner à passer à l’action, tel un amateur tiède qui prendrait tout son temps à peser le pour et le contre. Et pourquoi aurais-je dû faire plus que répandre l’information ? Après tout, c’était déjà pas mal.

C’était sans compter sur une force extérieure qui m’a remis les idées en place, ma copine : « Alors comme ça tu écris sur la contraception masculine mais tu ne fais rien ? » Je ne comprenais pas : à quoi bon, puisqu’elle portait un stérilet et qu’elle le supportait très bien ? De plus, si j’avais bien retenu quelque chose de la rédaction de l’article, c’est que toute contraception est une contrainte. Pourquoi devrais-je moi aussi me contracepter, alors que le stérilet représentait une contrainte minimum pour une efficacité maximum ? D’autant que, de mon point de vue d’alors, je n’étais pas non plus totalement absent de cette partie de notre vie commune.

À l’aube de notre relation tout feu tout flammes, la fougue nous avait amenés à sacrifier la responsabilité sur l’autel du désir. Résultat : une grossesse non désirée et un avortement. Une expérience formatrice s’il en est. J’y ai découvert pour la première fois l’univers de la gynécologie et, plus largement, j’ai commencé à entrapercevoir les contraintes médicales qui pesaient sur le corps des femmes. Lors des divers rendez-vous obligatoires en de telles circonstances, jamais n’a été fait mention d’une contraception que j’aurais pu assurer – en dehors du préservatif. Ma copine a donc pris la pilule, porté un anneau hormonal, puis, après avoir refusé un implant, a décidé de passer au stérilet. Au moment de la pose, témoin de la douleur intense qu’elle endurait, j’ai failli tourner de l’œil. Je me souviendrai de ce moment et de cette sensation à chaque étape qui me conduira au port d’un slip contraceptif. La piqûre de rappel indispensable : arrête de te plaindre, ce dans quoi tu t’es embarqué, c’est une croisière dans les Cyclades.

Je suis nu comme un ver, debout, dans une salle blanche à la lumière crue et aux fenêtres en verre dépoli. Je pourrais garder mes chaussettes, mais la perspective de n’avoir que mes pieds couverts me semble ridicule et en tout point absurde. Mon ventre flasque est désespérément attiré par le sol. Mon sexe pend au-dessus du vide. En face de lui, un homme l’ausculte avec le plus grand sérieux. Avec ses gants jetables en plastique enfilés, il palpe mes testicules. Je détourne les yeux, puis finis par le regarder faire. Il me pose des questions, je lui réponds. Il me dit de me rhabiller. Je m’exécute et remets mes chaussettes en dernier.

À 28 ans, c’est la première fois de ma vie que je me mets nu devant un membre du corps médical, ci-devant andrologue. Plus tôt, dans la salle d’attente, je m’en faisais toute une montagne : allais-je devoir me mettre tout nu ? Allait-il émettre des commentaires sur mes bourrelets, mon absence d’abdominaux ou mes muscles dignes d’une grenouille ? Et si… et si j’avais une érection pendant qu’il m’auscultait ? Autant de questions qui se dégonflèrent comme une baudruche dès que je rencontrai le Dr Mieusset, l’un des concepteurs historiques du slip contraceptif et seul médecin à le prescrire en France.

Nous discutons longuement de ma vie, de mes antécédents médicaux et ceux de ma famille, mais aussi d’archéologie et d’histoire, et bien entendu de la relation avec ma copine et des raisons qui me poussent à vouloir me contracepter (« il faut bien partager », j’explique, même si j’aurais dû préciser : « elle m’y a quand même un peu poussé »). Il me détaille ensuite le fonctionnement de la contraception thermique et la marche à suivre pour garantir son efficacité.

En repensant aujourd’hui à mes craintes liées à ce premier rendez-vous, je me rappelle aussi très vivement avoir essayé de paraître tout à fait naturel au moment de me déshabiller, comme si cela ne me causait aucune angoisse. Comment se fait-il que jamais auparavant je n’avais eu à faire cela ? Pourtant, je viens d’une famille et d’une classe sociale qui ne cultivent aucune défiance envers les médecins et l’ordre médical – au contraire, nous n’exprimons à l’égard de leur savoir que de la révérence. Je me rendais donc régulièrement chez le généraliste, quand bien même étais-je bien portant (« on n’est jamais sûr de rien, cela ne coûte rien de faire une vérification », me disait-on), j’avais l’obligation de saluer le dentiste chaque année (« la visite de routine, c’est important ! », justifiait-on), et j’ai même eu droit à un rafistolage de mes dents de vampire à l’aide de trois ans d’orthodontie (« tu nous remercieras plus tard » et, bigre, mes parents avaient raison). En revanche, je n’allais jamais chez la gynéco ; ma sœur et ma mère, elles, si. Mon père n’a jamais évoqué la possibilité de se rendre chez un andrologue. D’ailleurs, y est-il jamais allé pour une visite de routine ?

Il va sans dire que mon expérience est d’une banalité sans nom. À l’instar d’une majorité de personnes socialisées comme homme, mon corps est une machine dont l’entretien se fait par le sport et qui ne supporte pas la contrainte, encore moins quand celle-ci est médicale. Suivre un traitement au long cours, c’est bien simple, je n’y suis jamais parvenu ! Et pourtant, en matière de contraception, tout est contrainte, astreinte, régularité et sérieux : prendre la pilule, c’est tous les jours à heure fixe ; aller chez la gynéco, c’est se montrer, s’exposer ; penser à la contraception, c’est une charge mentale quotidienne et permanente ; un oubli a des conséquences immédiates. Mais pas sur mon corps.

Lors du premier rendez-vous, le Dr Mieusset a pris des mesures avec sa réglette : distance verge-taille, largeur des testicules, etc. L’objectif, faire coudre un slip aux bonnes dimensions, un slip qui corresponde à mon mode de vie – sédentaire, peu actif et en position assise. Le slip, fait sur mesure, doit ainsi s’adapter à chaque mode d’existence.

Lors du rendez-vous suivant, j’ai eu mon premier slip. Acheté dans le commerce, il avait été modifié par une couturière de haut vol, et il m’intimidait. Il me fallait l’essayer. Le principe a beau être simple (il suffit de glisser sa verge dans le trou et de tirer sur la peau des bourses pour que les testicules viennent se mettre au chaud dans les canaux inguinaux), ma tête était saturée de questions : et si mes testicules ne parvenaient pas à remonter ? Et s’ils restaient bloqués ? Et si je souffrais affreusement ? N’allais-je pas être moche comme un pou avec un truc pareil ?

J’ai donc enfilé le slip. Puis introduit la verge dans le trou. Et tiré délicatement sur la peau de mes bourses. Le tout sous l’œil attentif du médecin. « Allez-y doucement… Encore un peu… Voilà, vous y êtes. » Mécaniquement, mes testicules se sont rangés à leur nouvelle place. Sans douleur. Mais tout de même, quelle sensation bizarre : seule ma verge pendait hors du slip, esseulée, en simple compagnie d’une peau mollasse et inutile piquée de poils revêches. « N’oubliez pas de faire le nœud. Sans serrer, attention ! » Là-dessus, j’ai renfilé mon caleçon.

Ça y était, l’aventure de la contraception thermique pouvait commencer.
Si la première phase s’était merveilleusement bien déroulée, il fallut quelques mois supplémentaires pour que le slip me convienne parfaitement. Les testicules ne restaient pas toujours à leur nouvelle place ; ils sortaient de façon intempestive par le trou normalement dédié à la verge. Et là, j’avais mal. Ainsi, j’avais peur de sortir avec le slip, de crainte d’avoir à mettre la main au panier n’importe où, n’importe quand afin de vérifier que tout était bien en place. Une vie passée à angoisser qu’un testicule ne se fasse la malle n’est pas une vie. Heureusement, le médecin et la couturière sont parvenus à trouver chaussure à mon pied. Dès lors, je n’avais plus aucune excuse.

Lorsque j’étais toujours dans la « phase de test » du slip, je ne le portais que sporadiquement, c’est-à-dire quelques heures par jour. J’écartais ainsi d’un revers de manche toute question pressante de ma copine à propos du jour où, enfin, je serais contracepté. « Mais enfin, je répondais, ne vois-tu pas que c’est long, que cela demande des ajustements continuels ? » C’est vrai, j’avais raison, c’était long. Pour d’autres, c’est plus court, le deuxième modèle de slip convient. Mais ce qui est tout aussi vrai, c’est que cela m’arrangeait bien : tant qu’on était en phase de test, je pouvais raconter que je m’essayais à cette nouvelle technique sans trop me mouiller, c’est-à-dire sans subir de contrainte. Or, j’ai bien dû me résoudre à l’évidence : je n’allais pas pouvoir me défiler indéfiniment. La contrainte, j’allais devoir l’assumer.

Et puis la réalité de la situation a fait son bonhomme de chemin. J’ai progressivement accepté cette nouvelle donnée, comme on adopte subtilement une pensée nouvelle – d’abord sur le plan théorique, puis sur le plan physique. La contrainte s’estompait de plus en plus pour ne plus en être une. Car quelle est sa nature, au fond ? Au regard de toutes les injonctions qui pèsent sur le corps des femmes, que ce soit en termes de contraception ou autre, le port d’un slip contraceptif représente bien peu de choses. Voire même, on peut le considérer comme le prolongement d’une contrainte que nous avons acceptée voilà bien longtemps. Qui parmi nous oublie de mettre un sous-vêtement quand il s’habille, franchement ? À moins de vouloir vivre ce terrible cauchemar où l’on se retrouve à poil à l’école, prenant conscience de la catastrophe sur le point d’advenir une fois en plein milieu de la cour de récréation, qui oublie chaque matin d’enfiler un slibard ? Alors oui, il faut le garder quinze heures par jour (pas forcément d’affilée), et il m’arrive souvent de ne pas rester éveillé autant, ce qui exige de travailler son calcul mental. Un pense-bête : je me lève à 8 heures, je l’enlève à 23 heures ; je me lève à 9 heures, je l’enlève à minuit. Quant à ceux qui vivent la nuit, il faut juste inverser. Et on peut s’endormir avec pour atteindre le nombre d’heures manquantes, ce n’est pas dérangeant.

Les spermatozoïdes mettent trois mois à être produits. C’est donc uniquement au terme de ce délai avec le slip porté tous les jours quinze heures durant qu’on est potentiellement contracepté. Mais comment savoir, comment en être sûr ? Car rien dans notre corps ne l’indique : aucun voyant ne s’allume, le sperme a la même allure et la libido n’est aucunement changée. Alors, comment savoir qu’on a enfin atteint le pays enchanté de l’azoospermie ?

Après quelques jours d’abstinence, je me suis enfoncé dans les méandres de l’hôpital, jusqu’à un service à l’acronyme barbare, le Cecos (pour Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains). Là, dans cet endroit où n’ont l’air de travailler que des femmes (je n’y ai jamais croisé d’hommes), on est conduit jusqu’à une pièce dépouillée, sobrement équipée d’un lit au drap de papier, d’une télévision, d’une table de nuit et d’une salle de bains privative. Notre mission : procéder à ce qu’on appelle pudiquement un « prélèvement » – comprendre : se masturber et recueillir le sperme dans un bocal à des fins d’analyse. Certes, il est difficile de rendre agréable un tel moment, mais il n’est pas non plus très utile d’épiloguer à son propos. Une fois de plus, les hommes sont largement épargnés par les contraintes médicales, et même s’il serait plus agréable de pouvoir se « recueillir » tranquillement chez soi, n’en faisons pas tout un foin.

Quelques jours plus tard, les résultats sont arrivés : « Félicitations, vous êtes contracepté. »
Victoire ! Quelle joie ! Quelle réussite ! Quel courage et quelle abnégation ! Braver ainsi le déterminisme du genre !

Heureusement, on m’a bien vite fait redescendre sur Terre. Ah oui, tiens, en fait qu’est-ce que ça change ? Certes, je ne suis plus un procréateur en puissance, mais je n’y suis pas arrivé tout seul. Il a fallu que celle-là même qui avait la charge de sa contraception m’y pousse. Et puis, quand bien même suis-je contracepté, il n’en reste pas moins que la charge mentale ne peut disparaître de l’esprit de ma copine. Qui paiera les pots cassés si je fais une bêtise et me retrouve fécond ? Certes, je serai présent et ne serai pas insensible à toutes les conséquences, mais mon corps sera épargné. Et surtout, cela ne me transforme pas : je reste un homme. Aucune des structures qui me permettent de profiter de mon statut ne s’est effondrée, le monde continue de tourner dans le même sens, à la différence près que mes testicules sont au chaud, hiver comme été.

Porter un slip contraceptif, ce n’est guère plus que cela : porter un slip. Rien d’exceptionnel. Et pourtant, puisque c’est si simple, si peu contraignant, la question reste entière :
pourquoi pas toi ?