Salut les Thomas Bouloù,
Petit exercice de style inévitable pour entrer en matière, pouvez-vous nous faire une présentation rapide du collectif et de ses activités ?
Le collectif Thomas Bouloù est un petit groupe de garçons, basé dans le Finistère, qui travaille sur la contraception testiculaire et la responsabilité masculine. Autrement dit : questionner notre place en tant que mecs dans le patriarcat et/ou le féminisme, avec comme prétexte le sujet de la contraception dite masculine.
Nous faisons de l’information, de la sensibilisation, au travers d’interventions publiques – soit dans le cadre d’événements politico-festifs plutôt féministes, soit lors de soirées organisées autour de notre venue – ainsi que de l’accompagnement pratique pour ceux qui veulent se remonter les testicules ou se contracepter par d’autres moyens (méthode hormonale et vasectomie) au travers d’un atelier-permanence mensuel.
Vous vous rencontrez donc en avril 2015 à l’occasion d’un festival féministe au cours duquel est proposée une discussion sur la sexualité masculine. Suite à celle-ci, la parlotte continue chaleureusement à la buvette et quelques personnes décident de lancer une dynamique plus régulière et pérenne. Vous connaissiez-vous avant ? Vous souvenez-vous des objectifs que vous vous fixez à l’époque et sur quelle base vous voulez continuer à vous voir ? Par exemple, est-ce que vous imaginez un groupe d’hommes, du style « pas rôles d’hommes » ?
Sans nous connaître, nous étions reliés par les réseaux militants ou alternatifs du Sud-Finistère dont nous faisions partie, milieux à forte présence féministe.
On peut dire que Thomas Bouloù est né du Festival Clito’rik sur le plaisir et la sexualité. Benoît, Christophe et MichelI avaient participé à la préparation de l’atelier destiné aux « hommes », et avaient aussi fait venir Ardecom pour parler de l’histoire de la « contraception masculine ». ChristopheII portait un RCT depuis janvier 2015, et venait d’avoir son premier spermogramme « contracepté » juste avant Clito’rik. ArnoldIII, rencontré ce jour-là, était « vasectomisé » depuis le mois de janvier. Ces expériences personnelles, qu’ils avaient envie de partager, ont servi de prétexte à la constitution d’un groupe. Nous avions à la fois des envies de « groupe de parole » (pour interroger nos rapports à la sexualité, à la contraception, à la parentalité, au patriarcat, au féminisme, à notre place dans les luttes des copines…) et des envies d’intervention dans l’espace public (pour mettre en débat toutes ces questions).
Au début, nous étions six ou sept garçons, avec l’idée que ce n’était pas forcément un groupe non mixte, mais en assumant le fait que ces questions s’adressaient à nous, qu’il y avait un travail à faire en tant que mecs. Le groupe n’était pas fermé, mais nous invitions plutôt les hommes à nous rejoindre. Tous les membres du groupe ont eu envie de se contracepter, et ont commencé à bricoler des remonte-couilles.
À partir du mois de juin 2015, ça a été des réunions régulières, une fois par mois. Nous passions ensemble des journées entières : ça pouvait être du 10h-22 h. On prenait le temps. Il y avait les moments où on fabriquait, les moments où on écrivait, et puis quand on cuisinait, à midi, on posait l’enregistreur sur la table et on se laissait aller… Il y a des choses qui sont sorties grâce à ça. Assez vite, nous avons produit un premier écrit sur les contraceptions testiculaires (janvier 2016). Au début, nous nous étions interviewés les uns les autres, et ça avait fait du contenu pour la brochureI. L’idée était de produire des témoignages sur nos parcours personnels en termes de construction masculine, de sexualité, etc. Finalement, nous n’avons publié qu’un numéro, mais il y avait de la matière pour d’autres. Ça faisait partie de nos activités, de ce qu’on faisait quand on se retrouvait : cet exercice d’interviews mutuelles, c’était apprendre à nous connaître, mettre des mots ensemble sur des choses, créer une pensée commune…
Même si tout est imbriqué, nous reviendrons plus tard sur votre volonté d’aborder de manière plus générale « les questions de sexualité, d’IST, de genre ou de domination masculine » qui est une de vos motivations premières. Mais ce qui nous intéresse plus spécifiquement ici est tout le travail que vous avez mené autour de la contraception testiculaire et plus précisément autour de la méthode du remonte-couilles. À ma connaissance, à ce moment-là, vous êtes le seul groupe constitué qui s’attelle à remettre en place une production DIY de slips contraceptifs et une diffusion de cette technique en dehors du corps médical. Je me trompe ? D’où démarrez-vous ? Vous sentez-vous inscrit dans une histoire qui vous précède ? Cela vous importe-t-il ?
Le rapport aux médecins, les obstacles posés par le corps médical à l’accès à la vasectomie, l’absence d’information sur les méthodes de contraception testiculaires, etc., sont fondateurs de notre envie de témoigner et de mettre en débat. La façon dont fonctionne l’institution médicale, les relations dans ce monde-là, les rapports soignants-soignés… tout ça incite à chercher d’autres pistes pour prendre ses responsabilités, arrêter de déléguer à d’autres la charge de sa contraception.
Nous avons quand même cherché à intéresser des médecins à notre pratique, notamment en leur demandant des ordonnances de spermogramme. Nous avons lu toute la littérature scientifique que nous avons trouvée, et nous avons produit un écrit qui faisait le point sur les méthodes existantes – ce que nous en avions compris et que nous pouvions appliquer à nous-mêmes. Il y avait un côté jouissif à se sentir en capacité de produire une forme de connaissance associée au soin, et d’imaginer des protocoles de collecte de données, une espèce de recherche autonome…
Comme vous le dites dans votre premier rapport d’activités, il fallait aussi (d’abord) apprendre à connaître comment fonctionne son corps… On démarre de loin quand même !
Les hommes, quel que soit leur âge, sont en général ignorants sur leurs propres organes sexuels. Un des premiers retours que nous avons de leur part, c’est cette découverte, cette prise de conscience, qui procure à la fois plaisir et dépit.
Les femmes sont souvent bien mieux informées, dès l’enfance et l’adolescence, sur leur cycle biologique – par la contraception, le suivi gynécologique, etc. Nous avons beaucoup appris en travaillant sur le côté médical. Et cette connaissance vient percuter l’imaginaire qu’ont les garçons autour des testicules, un imaginaire très mythologique, pas concret, lié à la masculinité, au courage, à la force… et au fond à la peur. De revenir à une approche scientifique, naturaliste, ça permet de questionner cet imaginaire, d’abord en corrigeant certaines croyances selon lesquelles le sperme serait produit dans les testicules, la vasectomie serait une castration, la libido serait en lien direct avec la fertilité, etc. Notre impression, c’est que l’information sur le fonctionnement des organes sexuels mâles vient déjà désamorcer les clichés masculinistes et le virilisme.
D’un point de vue technique – mis à part le docteur Mieusset qui continue contre vents et marées à proposer la contraception thermique et à fournir en slips ses patients tout au long de ces années – il y a un trou d’environ vingt-cinq ans entre la chute du RCT dans les oubliettes de l’histoire de la contraception et l’exhumation à laquelle vous vous adonnez. Comment vous y prenez-vous pour imaginer des dispositifs fonctionnels ? Avez-vous des modèles ? Avez-vous l’impression de partir de zéro ? (Je ne vous pose pas cette question pour étaler votre ingéniosité, mais plutôt pour donner des pistes de comment on peut faire quand on n’y connaît pas grand-chose et qu’on n’a pas de sources auxquelles se fier.)
Nous ne sommes pas partis de zéro, nous avions quelques sources : les travaux de Mieusset, le bouquin la Contraception masculine de Soufir et Mieusset, le site d’Ardecom et le film Vade retro spermato où il y a des images de slips à trou et même de joint torique (ancêtre de l’andro-switch)… mais c’était des bribes disparates, assez peu de choses finalement pour se lancer.
Nous avons tâtonné ; il fallait essayer, voir ce qui tenait le mieux, comment empêcher les testicules de descendre sans souffrir… Pour l’anneau, l’idée d’utiliser une chaussette roulée est venue assez vite ; nous avons aussi utilisé du satin ou des carrés de jersey cousus en tube. Le fait de chercher autre chose que le « slip » (jugé un peu ringard) et d’essayer de transformer des « boxers » en ajoutant plein d’élastiques, ça a donné les premiers modèles sans tissu (où il n’y avait plus que l’anneau et les élastiques) que nous appelions « harnais ». L’idée de détourner un soutien-gorge – outre l’apport esthétique et symbolique de la dentelle, des beaux tissus, etc. – a mis en évidence l’importance du support arrière (pour plaquer sous le périnée) et l’utilité des bretelles (réglables). Enfin, l’imaginaire du jockstrap (lié à des pratiques sexuelles ni contraceptives ni hétérosexuelles) est venu parachever ce travail. Mais d’autres dispositifs sont possibles, nous avons rencontré des personnes qui créent des choses avec des bretelles ou des pinces pour faire tenir l’anneau, des anneaux en diverses matières qui se maintiennent par eux-mêmes… Il y a encore plein d’objets à inventer.
Pour notre part, nous avons privilégié le modèle du jockstrap parce qu’il est fonctionnel, qu’il est bien adaptable aux différentes morphologies et qu’il est relativement simple à faire, donc facile à transmettre, à diffuser. Un truc qui a beaucoup joué aussi, c’est notre rapport à la couture : nous étions plusieurs à savoir coudre, à la main comme à la machine. S’il avait fallu demander à une couturière de nous aider, cela aurait posé d’autres problèmes. Le fait de proposer des ateliers de couture-confection interroge d’ailleurs la masculinité : souvent, c’est la première fois de leur vie que les garçons se mettent à la couture, pour se faire un remonte-couilles.
Vous voilà donc dotés de RCT faits maison et, fidèles à votre idée de départ de mener des interventions publiques, vous commencez à arpenter les routes de France et même de Belgique dans le cadre d’un premier, puis d’un deuxième Contracep’tour. Pour celles et ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de vous y croiser, pouvez-vous expliquer en quoi ça consistait et quelles étaient vos intentions en vous lançant dans l’aventure ? Avec le recul, qu’en retirez-vous ?
Quelque chose s’est passé, quel que soit l’endroit, et nous avons fait beaucoup de belles rencontres, sympathisé avec des groupes ou des personnes avec qui nous sommes restés en lien…
Dès le début, sans être très sûrs de nous, nous avions envie de ça, de produire des trucs pour d’autres gens, de transmettre. Mais nous avions peur de prendre de la place dans l’espace public. Ce qui nous a convaincu d’y aller, c’est que s’exposer, exprimer publiquement ce qu’on a envie de dire ou de faire, ça permet de recevoir des critiques. D’ailleurs, Rapport(s) n°1 visait ce même but ; nous avions demandé à différents groupes féministes de nous faire des retours critiques, un peu dans l’idée de « reddition de comptes ». Des copines militantes féministes avaient aussi demandé à nous rencontrer pour savoir de quoi nous parlions entre nous. Certaines trouvaient que nous prenions trop de précautions, comme si nous hésitions à nous engager vraiment, tandis que d’autres se méfiaient de notre manière d’avancer vite, de nos ambitions… C’est ce qui a dessiné un contenu possible d’intervention publique.
Le premier Contracep’tour venait aussi d’une envie de mini-bus et de tournée rock’n’roll ! Une copine est partie avec nous. Pour la première fois, une femme s’impliquait, pas vraiment dans notre groupe, mais dans nos activités, nos discussions de fond, et dans la construction, soirée après soirée, de notre manière d’intervenir, de nous présenter, de poser un cadre, etc. Nous alternions les soirées publiques et les ateliers de confection en journée. Des soirées assez longues, plutôt en mode « présentation » ou « conférence », mais avec une partie plus intime, en petits groupes, pour discuter des parcours contraceptifs, de la confiance, du partage des responsabilités, etc.
Les ateliers n’étaient sans doute pas très efficaces, peu de garçons en sortaient avec un dispositif satisfaisant pour se contracepter, mais ça donnait un bon coup de pouce aux quelques garçons déjà motivés, qui se sentaient seuls dans leurs recherches de maîtrise de la fertilité. C’était surtout un cadre pour créer du débat, parler avec des hommes de ce qui nous animait. Si l’atelier-permanence continue aujourd’hui, c’est aussi que ces intentions-là nous motivent encore en arrière-plan.
Lors de ces deux tournées, vous vous êtes rendus dans une trentaine de lieux. Quel était l’état des connaissances des personnes que vous rencontriez ? Diriez-vous qu’elles étaient déjà au courant de l’existence de la contraception testiculaire ou étaient-ce majoritairement des moments de découverte ?
Au début, la plupart des gens découvraient ça complètement et notre présence attirait en grande majorité des femmes plutôt que des hommes. Après, on a vu augmenter la proportion d’hommes dans le public, et de plus en plus de garçons ont manifesté leur envie de s’y mettre. Aujourd’hui, nous rencontrons beaucoup de personnes qui en ont entendu parler, qui connaissent les principes ; il y en a encore qui découvrent pour la première fois, mais c’est plus rare.
Entre-temps, d’autres groupes ou « acteurs » de la contraception testiculaire ont effectué de leur côté un travail d’informationsensibilisation, et de plus en plus de formation. Il y avait déjà Ardecom qui allait un peu partout en France, puis il y a eu Andro-switch et le groupe Garcon (Toulouse), nous nous sommes souvent croisés, nos passages dans telle ou telle ville se sont cumulés, ça se répondait, nous intervenions parfois ensemble… Et puis, c’est dans le mouvement du Planning familial, au travers des permanences d’accueil, que des demandes ont émergé de la part de couples hétérosexuels. Sans doute avons-nous contribué à faire naître la demande sociale actuelle de contraception dite masculine. Nous pensons en tout cas qu’il est encore de notre responsabilité d’essayer d’y répondre, d’être présents, d’apporter nos connaissances accumulées.
Il me semble que très vite un de vos objectifs est d’encourager la création de différents groupes autonomes qui s’approprieraient ces pratiques et réflexions à leur sauce afin de quitter ou d’éviter ce rôle de spécialiste et de seul référent en la matière qui vous pend au nez. Y a-t-il eu des tentatives de formalisation de ce qui aurait pu devenir un réseau ?
Au retour de nos tournées, nous avions le fantasme que des petits groupes se montent un peu partout dans notre sillage. Nous imaginions une espèce de réseau de gens qui bricoleraient dans leur coin et se retrouveraient de temps en temps. Il y a d’ailleurs eu quelques petits moments comme ça, notamment lors d’une rencontre à Rennes où Roger Mieusset était venu assister à un de nos ateliers, et où nous avions invité plusieurs garçons contraceptés par la méthode thermique ou en train de se lancer. Nous avions l’envie d’aller plus loin, plein d’idées qui n’ont pas abouti… Ça n’a pas vraiment porté ses fruits. Ou pas directement. Pas à l’époque, en tout cas. Mais plusieurs garçons présents à ce week-end sont devenus depuis des « acteurs » du développement de la contraception dite masculine en France. Le réseau se construit, mais ce n’est plus nous qui le dynamisons.
À la base, nous sommes venus à la contraception testiculaire parce que ça nous semblait une pratique intéressante à explorer dans une perspective antipatriarcale. En agissant avec d’autres qui partagent cet objet commun qu’est le slip mais pas forcément les questionnements politiques qui vont avec (autonomie des groupes, reddition de comptes aux féministes, critique de la masculinité, intégration des questions de genre à nos discours, prise en compte des parcours trans, gay, etc.), c’était plus difficile de trouver une façon de faire qui nous allait bien.
Il faut dire aussi qu’au début nous étions sept ou huit dans le groupe, et que ce nombre a diminué petit à petit. Ça a joué dans notre dynamique, de se retrouver à cinq, puis quatre, puis trois, puis deux… Au départ, nous étions un groupe d’âges très différents, des garçons à des moments différents de leurs parcours de vie, donc forcément différents dans la contraception – à soixante ans on n’a pas nécessairement les mêmes perspectives qu’à vingt ou trente ans.
Ce que nous avons continué à faire cependant, c’est de mettre en lien les personnes d’une même ville ou région avec qui nous sommes en contact ; mais ça ne forme pas des groupes pour autant, la contraception testiculaire reste une pratique individuelle, même si nous avons parfois l’écho de rencontres informelles entre garçons contraceptés.
Par contre, nous avons rencontré des équipes bénévoles et médicales de différents Plannings qui étaient demandeuses de ce que nous pouvions apporter, avec la volonté de « banaliser » les contraceptions testiculaires pour offrir une possibilité plus large en proposant aussi le choix aux garçons. Et il y a eu d’autres relations chaleureuses avec plein d’autres gens, y compris des journalistes ou documentaristes. Ça a alimenté notre dynamique. Ça avait un côté soutenant et questionnant à la fois. Nous avons pu voir comment le Planning familial s’empare du sujet, quelles sont les réticences, quels sont les intérêts. Certains d’entre nous sont allés régulièrement à Paris, d’autres n’étaient pas chauds pour ça. Ni pour répondre aux sollicitatons des médias d’ailleurs.
En janvier 2018, vous décidez de proposer des moments réguliers de permanences-ateliers dans un local de Quimper. Pouvez-vous nous dire en quoi ça consiste, comment ça marche et à quoi cette nouvelle initiative vient répondre ?
Quand La Baleine est née, nous avons vu l’opportunité d’ouvrir un atelier couture pour pouvoir accompagner de manière plus efficace les personnes motivées à se confectionner des remonte-couilles. Nous perdions de l’énergie à nous déplacer partout, et nous avions envie d’être en mesure de revoir les gens régulièrement, leur proposer un accompagnement… jusqu’au seuil contraceptif et au-delà !
Si nous avons réussi à nous contracepter, c’est parce que nous étions plusieurs à nous lancer ensemble. D’où l’idée d’être présents localement pendant assez longtemps pour que les personnes puissent venir une fois, deux fois, trois fois, quatre fois. Parce que ça ne se fait pas du jour au lendemain, et puis c’est une démarche. Étant moins nombreux, ça nous permet un travail continu et proportionné à notre énergie.
Auparavant, nos réunions étaient fermées. Là, les gens viennent nous voir. Ça reste important que de tels espaces existent dans toutes les villes. Nous sommes d’ailleurs toujours partants pour transmettre, ici à Quimper, à des gens d’ailleurs qui voudraient ouvrir une permanence chez eux.
En parallèle, nous avons voulu rendre disponible sur internet tout ce que nous avions pu construire comme outils et documents, en particulier la brochure les Contraceptions testiculaires et les tutoriels-vidéos de confection de RCT. Le premier samedi de chaque mois, jour de la permanence, est aussi celui où nous ouvrons la boîte mail de Thomas Bouloù pour y répondre à des gens de plus en plus nombreux : conseils à distance, mise en relation, etc.
Aujourd’hui, plusieurs garçons contraceptés se sentent reliés à Thomas Bouloù à travers la permanence mensuelle et partagent nos intentions et questionnements, mais nous restons deux à nous sentir vraiment engagés dans tout ce que fait Thomas Bouloù. Ce n’est peut-être pas un problème en soi ? Ça fait trois ans que ça fonctionne. Nous sommes satisfaits en particulier des progrès que nous avons effectués sur le terrain de la contraception thermique, aussi bien en terme de technique que sur le plan du suivi. Nous avons élargi le « public » auquel nous nous adressons. Il y a aussi eu pas mal de sollicitations de la presse depuis l’ouverture de l’atelier-permanence. ça nous pose problème parce que, dans cette exposition plus médiatique, il y a un autre degré de mise en avant des garçons, de mise en valeur des individus qui portent des trucs collectifs, et là ce sont leurs visages, leurs mots, des citations entre guillemets, etc. Nous devons négocier à chaque fois pour éviter le « portrait » que demandent les journalistes la plupart du temps ; nous voulons parler des méthodes et de ce qu’elles posent comme questions. Mais, de ce côté-là aussi, nous avons vu les contenus évoluer : au début c’était des articles humoristiques, aujourd’hui il n’y a plus beaucoup de médias qui rigolent de la contraception testiculaire, ça circule sur les réseaux sociaux, ça s’impose comme un sujet « normal »…
Cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises au cour de cette interview, mais allons-y gaiement ! Dès vos premières réunions, vous inscrivez politiquement votre démarche dans un mouvement plus vaste de lutte contre la domination masculine. Lors de vos interventions, vous portez une attention particulière à vous positionner et à replacer les ateliers dans une perspective féministe. C’est à partir de ce cadre que vous proposez de réfléchir, questionner et encourager « la responsabilisation des hommes dans la gestion des contraintes et risques liés aux sexualités ». On peut en déduire qu’une pratique contraceptive ne dit rien en soi, vous y mettez des enjeux sociétaux. Pourquoi est-ce si important à vos yeux ? Est-ce que vous avez l’impression que ces idées passaient en même temps que la pratique ?
C’est assez difficile de savoir si les idées passent avec la pratique. La connaissance du corps, les discussions en petits groupes mixtes sur le privé, le personnel, l’intime… ce sont des moments forts.
La contraception en elle-même n’était pas notre objectif principal au départ, c’était un moyen d’aborder ces sujets politiques. Avant Thomas Bouloù, nous étions déjà intéressés par le féminisme et investis dans des collectifs marqués par ces idées, mais nous manquions d’un espace pour réfléchir à la place que nous prenions là-dedans, savoir quoi faire, etc. Former un groupe militant était donc un prétexte, mais presque indispensable : sans ça nous n’aurions rien fait. Entrer dans une démarche contraceptive nous semble un bon moyen de s’interroger sur notre responsabilité dans la vie sexuelle et affective, les privilèges qu’on a en tant qu’hommes, la domination qu’on exerce, comment faire bouger les lignes, associer nos partenaires à ce questionnement parce qu’on a des retours sur notre pensée, notre comportement, nos incohérences…
Actuellement c’est encore ça, mais en soi ce n’est pas évident que ça marche toujours. À un moment donné ça perdra peut-être ce sens-là ; la contraception testiculaire sera tellement commune qu’elle sera digérée. Elle pourrait même devenir un moyen utilisé par les hommes pour asseoir leur domination, reprendre le pouvoir sur la fécondité, décider à la place des femmes. C’est une inquiétude légitime, le risque existe… Et puis, il ne faut pas se faire d’illusions, ça ne change pas véritablement les personnes ni la répartition des rôles dans les couples, la parentalité, les pratiques sexuelles, etc. Mais ça reste pour nous un moyen d’agir, de toucher, de discuter… en espérant aussi que la pratique ne soit pas une simple mode, un moyen de valorisation personnelle – voire de séduction, de drague.
Pas toujours facile en tant que « mecs » de savoir quelle place prendre ou ne pas prendre sur le terrain des luttes contre le patriarcat. Et pourtant, si l’on admet que cela nous concerne aussi à la première personne, il nous faut bien agir. Comment avez-vous tenté de maintenir une attention face à cette tension permanente ?
D’abord, nous discutions beaucoup des retours que nous avions de nos entourages féminins, de nos partenaires ou compagnes… La diversité de notre groupe, en termes d’âges, d’expériences sexuelles et affectives, de parcours de vie, de formation politique, etc., a permis que chacun soit attentif à des choses différentes. Il y avait toujours l’un ou l’autre d’entre nous pour intervenir quand il le fallait. On pouvait se permettre de dire des bêtises, les autres étaient là pour réagir, combler nos lacunes, expliciter ce qu’on avait mal exprimé… Chacun se sentait sécurisé par la présence des autres ; il y a une confiance qui s’est construite. Ça nous a permis d’avoir des relations entre nous assez profondes pour oser.
Par ailleurs, notre entourage est favorable à notre démarche. Même les critiques sont faites avec confiance dans ce que nous sommes et voulons porter, sur les bases de notre engagement. « Allez-y, faites votre truc ! » Le milieu dans lequel nous sommes nous maintient en alerte, même quand on ne nous dit rien. Nous continuons à agir dans ce réseau local, avec les féministes, dans d’autres cadres, sur d’autres thématiques. C’est crucial.
Toujours dans le même ordre d’idée, il est malheureusement encore peu courant que des hommes se préoccupent de leur propre fécondité. Cette rareté pourrait amener à ce que ceux qui se contraceptent soient perçus comme des êtres exceptionnels ou, pire, se fassent passer eux-mêmes pour tels et en retirent des bénéfices alors qu’ils ne font rien d’autre que de s’occuper de ce que bien des femmes font sans qu’elles n’en reçoivent une quelconque reconnaissance. Je sais que vous avez toujours voulu faire attention à ça. Cependant, en ayant une existence publique autour de ces questions, avez-vous ressenti ce genre de situation ? Qu’avez-vous mis en place pour tenter de déjouer ce genre de pièges ?
Le fait que Thomas Bouloù soit un nom personnifié, c’est super. Il a pris une identité propre, qui nous protège en partie de ça. Quand nous parlons, quand nous écrivons, quand nous diffusons un discours construit collectivement, c’est Thomas Bouloù qui le fait. Même s’il y a du personnel qui passe dedans, c’est la parole collective qui est mise en avant (quel que soit notre ressenti, ce que chacun pense pour soi). C’est notre garde-fou.
Nous avons souvent ressenti cette survalorisation de notre pratique contraceptive et militante. Sans doute aussi sommes-nous sensibles à la flatterie ? Ça apporte des choses au niveau personnel, l’image qu’on a de soi… Mais nous gardons en tête que c’est un piège. Même si nous avons parfois été « trahis » par des journalistes, nous avons toujours essayé d’être attentifs à ça : refuser les « portraits » pour discuter du fond. Notre audience médiatique est quand même symbolique de la parole donnée aux mecs – toujours valorisée, ça se sent. Alors c’est chouette que Thomas Bouloù soit devenu une référence à l’échelle de la France, si c’est utile, porteur de changement… mais ce n’est pas nous.
à travers les pratiques de contraception testiculaire, on touche à un point périlleux : le risque d’une reprise de contrôle par les hommes sur le corps des femmes et de déposséder ces dernières des moyens de décider si, quand et dans quelles conditions elles veulent avoir des enfants. Pourtant, c’est aussi depuis un point de vue émancipateur que peut être pensé le fait que des hommes réalisent et prennent en charge leur propre fertilité. C’est un débat au sein du mouvement féministe. Vous le relayez partiellement dans votre première brochure de 2016, notamment lorsque vous dites que « le potentiel féministe de la contraception masculine reste une question ouverte ». Ouverte justement et pas tranchée. Comme une balise qui devrait nous rappeler en permanence les intentions que nous mettons derrière nos pratiques, ce vers quoi on tend…
Euh, je n’ai pas vraiment de question, mais si ça vous évoque quelques chose par rapport à votre vécu en tant que collectif ou autre allez-y ! Sinon, on passe à la suivante ;o)
Disons que si les méthodes de contraception testiculaire se diffusent largement dans la population à l’avenir, ce sera sans doute beaucoup plus normalisé, médicalisé, marchandisé, etc., que lorsque nous avons commencé. Leur potentiel émancipateur (pour les femmes) dépendra en partie de cet encadrement institutionnel, donc de l’évolution du système capitaliste et patriarcal. Ce système étant capable de digérer puis intégrer toute critique portée à son encontre, on voit bien qu’il n’y a aucune confiance à lui accorder en la matière (ni en d’autres d’ailleurs). En regardant l’histoire de la vasectomieI, on se rend compte que le genre masculin se saisit des questions contraceptives seulement quand il y a un bénéfice à en retirer (ne serait-ce que symboliquement, en termes d’image de soi). Que les garçons désirent l’égalité et souhaitent prendre leurs responsabilités est donc loin d’être le seul moteur du développement de la pratique de maîtrise de leur fertilité (que ce soit en DIY ou dans un cadre avec suivi). Il nous faudra donc garder une vigilance face aux éventuels retours de bâton de ce qui nous sera probablement présenté comme une avancée sociale, et continuer à diffuser une critique de la domination masculine, quand bien même elle se donnerait des airs de modernité, de compréhension et de bienveillance…
Une petite sardine de l’intérieur m’a dit regretter que vous vous soyez malgré vous « spécialisés » sur les questions de contraception, là où le groupe visait à parler de sexualité en général, mais aussi à essayer d’agir sur d’autres plans tels que la responsabilité des hommes en matière d’IST, de violences genrées, etc.
Partagez-vous ce constat ? Si oui, comment l’expliquez-vous ? Sur quels autres sujets aimeriez-vous travailler ?
C’est vrai que les autres ambitions de Thomas Bouloù ont plus ou moins disparu. La diminution de notre nombre l’explique en partie – et peut-être inversement aussi. Nous avons parfois l’impression de penser la contraception testiculaire comme un objectif en soi et non plus comme un moyen. Mais ceux qui assurent la permanence assument assez bien cette spécialisation : nous avons lancé des infos, ça crée des envies, des attentes, des besoins… auxquels il faut bien répondre ensuite. Nous ne regrettons pas cette évolution, et nous ne nous voyons pas comme des « experts » ni comme des « conseillers conjugaux ». Nos intentions premières sont toujours là.
Ce que nous n’avons pas développé par exemple sur la santé sexuelle, d’autres groupes-associations le font, tandis que sur la contraception testiculaire il y a besoin d’encore beaucoup travailler. Et ça vaut toujours le coup pour nous-mêmes. La parentalité est aussi un terrain sur lequel nous avançons de temps en temps. Enfin, si nous sommes trois aujourd’hui à nous attaquer en parallèle au problème de la violence masculine – qui est sans doute celui qui nous touche le plus mais face auquel nous nous sentions le plus démunis – c’est aussi parce que Thomas Bouloù a existé. Nous avons commencé à chercher des personnes-ressources et penser des outils pour « prendre en charge » les hommes violents, violeurs. Nous prenons le temps. Quand nous aurons le sentiment d’avoir achevé notre travail sur la contraception testiculaire, nous pourrons nous effacer (pour laisser cet objet faire son chemin), mais pas disparaître : passer plus sérieusement à ces autres terrains.
Pour terminer, et alors que vous imaginez vous effacer progressivement en tant que collectif, qu’auriez-vous envie de partager avec des personnes qui voudraient créer un groupe autour de ces questions ? Qu’est-ce que vous ne referiez pas de la même manière ? Quels sont les écueils que votre expérience pourrait éventuellement permettre d’éviter aux autres ?
Et, en positif, quels conseils donneriez-vous ? L’aventure est belle ?
L’aventure est belle, ça a transformé notre rapport aux garçons, mais nous ne saurions vraiment donner des conseils. S’intéresser à ce que produisent les féministes, à ce qu’elles font, tenir compte de notre position en tant qu’hommes dans tous les domaines…